La fée Électricité de Raul Dufy

Blockchain et RSE : Crypto-écologie ou bombe crypto-carbonée ?

Lepetit Jeremi
6 min readJan 13, 2021

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Trop volatile, purement spéculative, non-régulée, financement du terrorisme, souveraineté monétaire des états (des banques), financement du crime organisé, etc. Vous avez déjà entendu au moins l’une de ces objections aux crypto-monnaies.

Si les causes de défiances à l’égard de la blockchain et plus précisément des crypto-monnaies sous-jacentes sont encore nombreuses, elles sont le plus souvent devenues obsolètes et/ou instrumentalisées par protectionnisme industriel.

Néanmoins, l’une d’elle, moins en vue même chez les initiés du secteur, mérite que l’on s’y intéresse. La blockchain est-elle une technologie compatible avec les enjeux écologiques ou s’agit-il d’un fléau écologique ?

Certains experts du climat et de l’industrie bas carbone se montrent très critiques à l’égard de la blockchain. Les arguments avancés donnent à réfléchir mais exposent aussi la limite des connaissances de leurs auteurs au sujet de la blockchain.

Blockchain sous électricité injectée ⚡⚡⚡

Les blockchains et leurs différentes applications seraient totalement dépendantes et accros à l’électricité. Pourquoi ? A cause du minage. Le mineur est un ordinateur ou un complexe d’ordinateurs (qu’on appelle “ferme” de minage) qui a pour rôle de valider des transactions sur des réseaux blockchains. Ce dernier reçoit une récompense en crypto-monnaie contre ce travail. L’ordinateur a besoin d’électricité pour miner, c’est une réalité.

D’après le rapport du Cambridge Center for Alternative Finance, la facture énergétique directe du minage serait, en 2020, de 7,46 gigawatts. Soit l’équivalent de la production annuelle de 7 centrales nucléaires. Une autre étude parue dans la revue scientifique Joule estimait l’empreinte carbone de l’industrie à 22 mégatonnes de CO2 .

Difficile cependant de réaliser une vraie comparaison avec la facture énergétique directe des institutions financières “conventionnelles”. Il faudrait pouvoir évaluer en transparence le coût des 766 mds de transactions numériques en 2020, le coût des infrastructures techniques (serveurs, DAB, réseaux, bureautique, monnaie fiduciaire, etc.) du réseau financier mondial. Impossible à moins d’en faire une thèse d’économie. Cependant, nous pourrions nous intéresser au rapport d’Oxfam France qui pointe la catastrophique empreinte carbone du secteur bancaire. Pour les seules BNP Paribas, Société Générale, BPCE et Crédit Agricole l’empreinte carbone serait de près de 2000 mégatonnes de CO2 . Je vous laisse imaginer une projection de l’empreinte mondiale de cette industrie au sommet de l’asymétrie entre impact et prise de responsabilité environnementale.

Alors oui, toutes les industries sont dépendantes des flux énergétiques et toute industrie émergente a besoin de s’approvisionner. Mais se borner à dire que la blockchain consomme largement moins ne serait pas un argument valable si elle ne consommait pas mieux.

Car oui, derrière cette quête de profitabilité et ces réseaux décentralisés, plus souples, plus agiles, plus nomades, se cache aussi de brillants ingénieurs et hommes d’affaires, soucieux de trouver les meilleurs coûts pour leurs flux énergétiques. Peut-être même, que certains d’eux se soucient aussi des enjeux climatiques. Et oui de nombreux projets blockchains visent à y répondre.

L’alternative proof-of-stake

Déjà, toutes les blockchains ne nécessitent pas de minage. Le protocole de validation proof-of-work (preuve de travail) qui valide les transactions sur la blockchain bitcoin est un protocole de première génération. De plus en plus de blockchain, y compris Ethereum depuis décembre 2020, se tournent vers le protocole proof-of-stake (preuve d’enjeu) qui ne nécessite plus aucun minage et permet d’éviter justement la surconsommation énergétique. L’innovation permanente dans le secteur offre déjà de nouvelles perspectives technologiques (DAGchain, Holochain, Lightchain, etc.) et de nouveaux protocoles de validation sont en permanence mis à l’essai.

Bitcoin ROI du minage durable

Même dans la cas de bitcoin, qui représente plus des deux tiers du minage mondial et donc de la facture énergétique, les mineurs vont s’établir au plus près des sources d’énergies renouvelables à faible capacité de stockage. On estime qu’en 2019, 74,1% du minage de bitcoins était déjà alimenté par des énergies renouvelables inexploitées. Et cette tendance à dû encore s’accentuer en 2020. Cela fait en réalité de l’industrie du minage, l’industrie la plus orientée vers les énergies propres.

Centrale hydroélectrique de Búrfell (Iceland)

C’est le cas, entre autres, de l’énergie hydraulique. Relativement sous exploitée et très difficile à raccorder aux réseaux de distribution, les centrales hydrauliques sont souvent éloignées des agglomérations ce qui rend l’acheminement coûteux. Cela représente une véritable opportunité pour les industriels du minage, soucieux de s’installer à proximité de ces infrastructures et donc de se fournir en électricité bon marché. Ainsi la majorité des mineurs s’installent dans des zones où l’énergie hydraulique est au meilleur prix comme en Scandinavie, en Sibérie ou en Islande, où l’électricité est majoritairement en provenance d’énergies renouvelables (hydraulique et géothermique). Au lieu de pousser les industriels à construire de nouveaux câbles sous-marins vers les pays en demandes, les mineurs exploitent le surplus d’électricité.

C’est d’ailleurs ce qu’expliquait déjà Simonin Owen alias Hasheur dans sa video du 10.12.2018.

Infrastructure hardware et obsolescence prématurée 🖥️

Indépendamment du flux énergétique pour alimenter l’industrie du minage, il est nécessaire de considérer les flux physiques constitutifs de cette industrie et donc aussi les flux énergétiques consécutifs.

En effet, avant de s’alimenter en énergie, l’industriel doit monter un parc informatique lui permettant d’être compétitif sur le marché du minage (cartes graphiques, processeurs, cartes mémoires, etc.). Un matériel constitué principalement par des terres rares (métaux indispensables à la micro-électronique). Un actif informatique lourd en conséquence écologique et énergétique (extraction).

Par ailleurs, ce matériel est poussé en permanence au maximum de ses capacités ce qui implique son obsolescence prématurée.

Ces sujets concernent toutes les industries de hautes technologies mais l’industrie du minage, qui est encore émergente, a l’opportunité d’intégrer au plus vite ces problématiques.

Un projet comme Golem par exemple, vise à offrir une infrastructure technique décentralisée aux entreprises qui ont besoin d’une gigantesque puissance de calcul (IA, machine learning, deep learning, calcul quantique, etc.). Ces dernières pourraient alors piocher (contre rémunération) un peu de la puissance de calcul de votre Macbook connecté au réseau Golem et cela simultanément à des millions d’ordinateurs/smartphones. Ce projet vise à la pleine exploitation du parc hardware existant et donc à limiter l’extraction des terres rares nécessaires à la constitution d’une nouvelle infrastructure technique centralisée.

L’ONU recommande la décentralisation énergétique en Afrique

Sur le continent africain, ⅔ de la population est encore privées d’électricité à cause d’un acheminement complexe et trop coûteux entre les centres de production et des clients en demande croissante. Le rapport de l’ONU estime que les mineurs pourraient servir d’intermédiaires sur le tracé d’acheminement pour rendre rentables ces nouveaux réseaux électriques. La solution serait donc de vendre plutôt que de stocker de façon coûteuse et peu efficace.

schéma d’acheminement rentable de l’énergie

Au Congo, un projet de centre de minage à proximité du parc naturel Virunga viendrait par exemple rentabiliser la mise en service de 5 centrales hydrauliques en substitution de centrales à charbon. En exploitant les surplus énergétiques, l’industrie du minage peut soutenir la rentabilité des projets de production d’énergie bas carbone et aider à la livraison d’électricité là où elle fait défaut.

Crypto-écologie compatible 🌱

Toute activité humaine, nécessite son lot de flux énergétiques. Il en va aussi pour la blockchain et le minage. Mais il est injuste de pointer du doigt la facture énergétique de cette industrie émergente sous prétexte qu’elle serait élevée proportionnellement à l’usage actuel de ses applications. Et ce, alors que nous assistons à une démocratisation de plus en plus évidente de celles-ci et à un déploiement de plus en plus intégré. Ce serait nier le droit de bouleverser un ordre établi et particulièrement carboné sous prétexte de protection climatique. Je crois au contraire que cette industrie a le potentiel pour trouver des solutions innovantes moins carbonées aux systèmes en place et de s’inscrire en leader de la transition énergétique.

Jérémi Lepetit — Co-founder retreeb

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